Critique du film Cannibal Holocaust

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Réalisé par Ruggero Deodato

Ecrit par Gianfranco Clerici

Avec Robert Kerman, Francesca Ciardi, Gabriel Yorke, Perry Pirkanen, Luca Barbareschi, Salvatore Basile, Ricardo Fuentes

Année : 1979

Pays : Italy

Durée : 92 min

Note du rédacteur : 8 / 10

L'HISTOIRE

Un anthropologue spécialiste des cultures primitives monte une opération de sauvetage en Amazonie afin de retrouver quatre jeunes reporters disparus lors du tournage d'un documentaire. En remontant leur piste, il va peu à peu se rendre compte que les indigènes avaient une sérieuse dent contre eux (calembour !). Il parvient cependant à récupérer les pellicules tournées par l'équipe et rentre à New York pour visionner le film.

LA CRITIQUE

Pour schématiser, le film peut être décomposé en deux parties. La première est très classique, dans la tradition du jungle-movie : on y voit le professeur partir en exploration dans la jungle à la recherche de l'équipe de reporters, croiser des cannibales et manger de la viande humaine, etc... Elle réserve bien évidemment son lot de scènes choc - notamment un viol rituel particulièrement violent - et de dégustation de cuisine autochtone. Elle se révèle par contre plus intéressante lors de la seconde vision. En effet, Deodato tisse entre les deux parties de son film un réseau de références, dont la plus évidente demeure le parcours de l'anthropologue, suivant pas à pas celui des reporters. Mais de nombreux autres ponts sont dressés entre les deux actes, que les exégètes se feront un plaisir de relever et qui démontre surtout que "CANNIBAL HOLOCAUST" est contrairement aux apparences un film extrêmement construit et maîtrisé.
Mais ce film vaut surtout pour sa seconde partie, proprement hallucinante et rompant radicalement avec les codes du genre. Car justement, "CANNIBAL HOLOCAUST" n'est pas un simple film d'exploitation dont le seul but serait d'apporter au fan son lot de scènes gores dans une simple volonté de divertissement, mais le support à une véritable réflexion sur la fascination exercée par l'image et un dénonciation virulente de la soif sensationnaliste des média (il y a même fort à parier que c'est pour cette raison que le film fut si controversé et non pour la violence même de ses scènes).
Fascination tout d'abord, en réduisant l'écart entre le spectateur et ce qu'il voit, en faisant prendre au film la forme d'un documentaire, tourné en 16 mm et à l'image sale. Si la première partie en imposait par son réalisme (le film a été tourné en pleine jungle, en lumière naturelle), la seconde en repousse les limites, forçant la confusion entre réalité et fiction. Ainsi, même si c'était alors une pratique courante dans les films cannibales, les meurtres non simulés d'animaux contribuent ici à rendre encore plus floue cette frontière. Frontière franchie lorsque les reporters forcent la main au destin en décidant de « scénariser » quelque peu leur reportage. Au cinéma – et à fortiori dans le gore –, la violence fascine autant, sinon plus, lorsqu'elle parait réelle que lorsqu'elle l'est véritablement. Et c'est précisément en jouant avec l'être et le paraître, en mêlant violence réelle (sur les animaux) et simulée (sur les humains) et en la présentant de manière fortement complaisante dans ce qui est présenté comme un documentaire que "CANNIBAL HOLOCAUST "se trouve être malsain. Deodato joue à fond sur cette confusion (il avait ordonné à ces acteurs de disparaître durant un an après le film... avant de les rappeler en catastrophe sous la menace de la justice), tout fut fait pour cultiver la légende. Le résultat est sûrement au delà de ses espérances, tellement on a pu dire tout et n'importe quoi sur le film (des accusations de snuff principalement, mais aussi de viols non simulés). Et il suffit de faire un petit tour sur quelques forums internet pour constater que c'est aujourd'hui toujours le cas.
Quand à la dénonciation du sensationnalisme des médias et de leur attrait pour cette violence, cela semblera évident à quiconque regarde ce film avec un soupçon d'esprit critique. Alan et son équipe sont l'exemple même de cette presse en perpétuelle recherche d'extrême et de réalisme cru, quitte à travestir la réalité ou à l'inventer tout simplement si l'image n'est pas assez croustillante. C'est ainsi qu'il mettrons le feu à un village pour filmer un soit disant massacre entre indiens et qu'ils exprimerons leur dégoût à la caméra juste après s'être rincé l'oeil devant une femme empalée. C'est dans le même élan voyeuriste qu'ils se filmeront en train de baiser devant les indiens rescapés de l'incendie en question. Mais bon, lorsque je vois l'état de la programmation télé actuelle, où se côtoient les « reportages choc » sur la deuxième Intifada, les bombardements en direct et la télé-réalité la plus putassière, je me dis que ce film était malheureusement prémonitoire.
Mais plus que ceux des média, ces travers sont aussi peut-être ceux des films cannibales eux mêmes, Deodato faisant de "CANNIBAL HOLOCAUST" (de sa seconde partie en tout cas) un « anti-film cannibale », sorte de négatif mettant en évidence les travers du genre par une surprenante mise en abîme (soyons audacieux : Alan est Deodato).
Petite parenthèse avant de conclure ces hypothèses fumeuses afin de mettre en évidence les qualités techniques du film. Comme dit plus haut, le montage et la mise en scène, s'ils sont à première vue anarchiques, se trouvent être parfaitement maîtrisés (en témoigne la mort d'Alan, face caméra au sens strict), de même que la structure particulière du film qui est d'une redoutable efficacité – et qui en inspirera beaucoup d'autres, en particulier le plagiat "BLAIR WITCH PROJECT" (autrement plus inspiré, on peut citer "C'EST ARRIVE PRES DE CHEZ VOUS"). Les acteurs sont plutôt moyens, mais on a l'habitude dans ce genre de production (et compte tenu des conditions de tournage, ils s'en sortent pas trop mal !). Par contre, les effets spéciaux brillent par leur qualité et leur réalisme (à tel point que Deodato fut contraint de refaire certains trucages devant les juges pour leur prouver que ce n'était pas un snuff-movie !). Un dernier mot sur la musique de Riz Ortolani, dont le thème principal semble plutôt romantico-nian-nian à la première écoute, mais qui finit par être assez envoûtante malgré son classicisme et même par amplifier l'impact des images par le décalage qu'elle provoque vis à vis de la violence. D'autres scènes sont au contraire soulignées par une musique d'inspiration plus électronique, psychédélique et brutale, en parfaite adéquation avec le ton du film.

En deux mots, "CANNIBAL HOLOCAUST" est un film essentiel, pierre angulaire du cinéma gore, bien plus riche qu'on ne pourrait le croire en le regardant d'un oeil distrait ou voyeur, brouillant habilement les pistes. Car si la thèse selon laquelle « les civilisés sont des sauvages » n'est pas très neuve, la démonstration est brillante.
Publiée le 2005-01-17

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