par SUSPIRIA » 31 Août 2008, 12:30
Nous avions quitté le cinéaste en 2004 avec la sortie de "Saint Ange", uvre poétique et empreinte de nostalgie. Ici, Laugier se dévêt de toutes références pour ouvrir son coeur dans une réalisation personnelle et insensée, oh combien rassurante : libre de création.
Je ne ferais pas durer le suspense plus longtemps : Martyrs est un film important qui vous bouscule, vous frappe en plein visage et laisse quelques marques indélébiles à lâme, en prime.
Parce quil nest jamais facile de laisser aller ses sentiments aux yeux de tous, il lest encore moins de les coucher sur papier sans prise de risques.
Martyrs place la barre très haut dès les premières images du film, ne laissant guère de place à notre repos, avec lexplosion dun tabou social assumé : une famille bourgeoise bien propre sur elle, une villa à larchitecture clinique et irréprochable, noyée au cur dune verdure apaisante ; limage parfaite dune peinture académique précieuse dans notre société pourtant si imparfaite. Et Laugier va craqueler les couleurs en dégommant un par un tous les protagonistes de cette réalité sociale abusive. Dix minutes de pure folie où Lucie va saigner outrageusement la maison et ses habitants. La messe semble dite fut ma première réflexion, mais lintelligence du scénario nen finira pas de me blesser. Nous partons dans linconnu qui va savérer monstrueux mais indispensable pour comprendre la raison de cette épreuve cinématographique.
La folie en toile de fond sinvite peut-être dans les yeux de Lucie : est-elle réellement en train de vivre tout cela ? Le monstre qui la poursuivait il y a quinze ans est-il bien vivant et toujours présent comme elle le prétend ? Névrose ou réalité ? Deux mondes parallèles à limage du film scindé en deux territoires au cur de la villa ; lhabitacle familial au design soigné et parfaitement confortable ouvrant sur une trappe qui nous conduit dans un long couloir aseptisé. Les parfums antiseptiques sarrêtent là, souvre alors la terre battue de lenfer. Comme un placenta libérateur. En Australie, lenfouir au pied dun arbre est un signe de prospérité, souhaitons au film les mêmes vertus.
Etre martyr, cest devenir témoin dun événement. Parler du long périple qui mène à un tel statut relève du voyeurisme, diront les détracteurs. Il sera plus juste de dire que le parcours dAnna relève dune exécution lente et traumatisante. Est-elle assumée ? A-t-elle vraiment le choix ? Autant de questions qui vous mèneront au bout de la route. La violence graphique et (surtout) psychologique sont telles quil est impossible de passer outre. Aucun voyeurisme donc dans tout cela, juste se poser la question de savoir si accepter une telle souffrance relève du divin ou du courage ?
Inutile donc de trop dévoiler le déroulement de lhistoire car Martyrs doit rester une expérience cinématographique personnelle et sensorielle. Et en toute franchise, il se vit et ne sexplique guère. Reste à vous jeter en pâture quelques poussières de la geôle expérimentale : scarifications décapantes, retrait de chevilles vissées dans la tête, absorption de repas douteux,et du tabassage particulièrement éprouvant. Tout cela nest pas gratuit, tout cela porte un sens pour quelques bourreaux avides de révélation. Une peinture sanglante et sensorielle du fait de Benoit Lestang, maquilleur de génie qui vient de nous quitter tragiquement. Son travail est magnifique et contribue grandement à la réussite de lensemble, tout en portant les deux actrices criantes de vérités de bout en bout.
Il vous reste à prendre du temps : le temps daccepter chaque image qui va vous être proposée et ce, sans porter de jugement instinctif qui pourrait vous empêcher dappréhender la fin de lhistoire. Et si tout comme moi les larmes vous montent parfois aux yeux, sachez les apprécier pour y réfléchir lorsque la lumière rejaillira dans la salle.
Avec Martyrs, Pascal Laugier accouche dun film en colère qui reflète en partie la violence sociale de notre époque : un diamant, organiquement brut. Le dernier mot sera pour Morjana Alaoui (Anna), sadressant à son père dans la salle le soir de la projection du film : "Noublie pas, Papa, ce nest que du cinéma". Et quel cinéma !
6/6 - Christophe JAKUBOWICZ
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