Au delà du fantastique. Au delà de l'horreur. Au delà de l'indicible. Voir Martyrs et mourir.
Le plus grand film d'horreur français depuis un demi-siècle existe. Je l'ai vu. Il s'appelle Martyrs. Un film qui dépasse l'entendement, et toute forme de critique traditionnelle. Chroniquer Martyrs selon les règles de la presse cinéma serait une chose vaine. A quoi bon raconter l'histoire du film ? Martyrs s'apparente à ces experiences ultimes de l'existence, qui sont difficilement retranscriptibles. On ne raconte pas un accident dont on a miraculeusement échappé indemne, ou sa plus folle nuit d'amour. On les vit.
Oubliez le (minuscule) budget du film. Oubliez l'histoire. Oubliez Saint-Ange, le premier film décrié (et pourtant aux qualités indéniables) de Pascal Laugier. Oubliez la promotion (ou plutôt la criminelle absence de promotion). Oubliez les Saw, Hostel, Frontière(s), Irréversible, ou tout autre film "extrème" auquel celui-ci pourrait être comparé. La portée de Martyrs va bien au delà de la triviale production d'horreur / fantastique des cinq dernières années. Martyrs pulvérise la distance entre film et spectateur, le propulse dans un voyage au bout de l'enfer et de lui-même. Quelque chose d'inégalé, d'inespéré.
Martyrs fait partie de cette catégorie de films trop rare au cinéma. Celle qui donne au spectateur des moments qu'il va chérir (ou haïr) jusqu'à la fin de ses jours. Souvenez-vous, Ben qui après avoir lutté toute la nuit, se fait flinguer par un chasseur idiot dans La Nuit des Morts-Vivants. Le final de 2001 Odyssée de l'Espace. L'épilogue des Frissons de L'Angoisse. Le premier meurtre de Suspiria... C'est cette essence, cette distillation de l'horreur, cette habileté a basculer dans l'indicible, ce savoir-faire oublié, que Martyrs réussi (enfin !) à retrouver.
Difficile donc d'en dire plus sans compromettre aux futurs spectateurs l'expérience Martyrs. Contentons nous de noter que ce film possède l'une des plus belles déclaration d'amour que l'on ait pu voir depuis la naissance du cinéma (superbement jouée par deux femmes, Morjane Aloui et Mylène Jampanoi). Que la construction déroutante du film, jouant sur la connaissance des genres du spectateur, est très habile, et abouti à une désorientation sensorielle similaire à celle que va expérimenter le personnage principal, garantissant ainsi une identification totale. Et enfin qu'une séquence ultra-violente de 20mn sans dialogue, juste avant le dernier acte du film, va choquer, non pas pour son graphisme, (qui ne descend jamais dans l'exploitation gratuite, quoi qu'essayeront de vous en convaincre les détracteurs), mais pour le traumatisme psychologique qu'elle fait subir à l'actrice principale, et par identification au spectateur.
Martyrs, c'est sûr, va diviser. Il n'y a pas trois manières d'appréhender la puissance du film. Adhésion, ou rejet total vont être à l'ordre du jour. C'est qu'à l'heure ou la France vit le triomphe de la comédie régressive, préférant faire l'autruche devant la crise de société, la dépression économique et la perversion des valeurs, Martyrs fait figure d'uvre salutaire et transgressive. A la fois un acte de résistance, et de sanité.
Certes, l'incompréhension va être de mise pour une partie du public. On entend déjà, dans les coursives du marché du film, se murmurer des accusations (injustifiées) de misogynie, voir de fascisme. Mais au delà de la controverse qu'il va provoquer, une seule chose doit compter : tout amoureux du cinéma qui se respecte, ne peut pas mourir sans avoir vu cette uvre démentielle qu'est Martyrs.
David Fakrikian