Ichi the Killer se veut l'un des rares films de Takashi Miike pouvant sans complexe se vanter d'atteindre le niveau du Gore, du vrai; un corps sectionné verticalement en deux parties, deux explosions d'artère carotide puis un interminable égorgement, noyés dans de l'hémoglobine utilisée à la manière d'une lance à eau pour pompier, entre deux crapoteuses scènes de torture
élaborées, de tabassages ou de sadomasochisme. Pas pour les enfants.
La violence graphique extrême de cette bande ayant rapidement gagné une réputation d'uvre culte en son genre en traduit aussi le principal intérêt. Ça mutile, ça découpe et ça saigne à n'en plus finir, dans un univers de Manga véritable (de toute manière, il s'agit de l'adaptation cinématographique d'une fameuse BD éponyme, mais la Miike's touch assure la différence), c'est-à-dire très
second degré, tout en se gardant bien de basculer dans la parodie ou même l'humour (ou alors, l'on a affaire à de l'humour sacrément noir). Ce recueil de barbarie ne prête en somme guère à rire, même si l'on se retrouve souvent partagé entre le jubilatoire et le malsain achevé.
Par ailleurs, au-delà du caractère décalé de ce
Ichi the Killer, la description sociale du milieu des Yakusas, quoique peu développée, n'en est pour autant pas totalement exempte de justesse, et il semble que Miike révèle l'une des branches de son vrai talent sur ce point de vue; car ce n'est pas la toute première fois que le cinéaste parvient à saisir et maîtriser les ficelles de l'ultraviolence morbide, de l'absurde et de la réalité sociale en un même film - il est bon à ce titre de se rappeler le fascinant
Dead or Alive. Le meilleur de la chose se trouve pour ainsi dire durant les quelques passages plus intimistes du récit, mais il est aussi bien clair que s'attendre à de l'étoffe psychologique palpable dans
Ichi the Killer tient de la pure perte de temps.
L'ensemble accuse en contrepartie son lot de faiblesses, notamment au niveau du tempo, particulièrement nonchalant et inégal, laissant le champ libre à des temps morts vides de sens et d'intérêt, si bien que le métrage aurait gagné à se voir raccourci d'une petite quinzaine de minutes. Concernant le personnage d'Ichi, il est hélas un peu lourd (un jeune tueur au profil de grand bébé pleurnichard, et sans mauvais jeu de mots), même si on lui doit les séquences les plus sanglantes du film, grâce à la lame redoutable intégrée dans son pied gauche, rentrant dans l'épiderme et partageant celui-ci comme avec du beurre. On préférera la classe du psychopathe blond Kakihara, et ce n'est sans doute pas un hasard si ce dernier s'avère nettement plus mis en valeur, surtout dans la première moitié de l'intrigue. Quant au véritable héros de
Ichi the Killer, on ne vous ment pas en prétendant qu'il s'agirait peut-être bien du grand Shinya Tsukamoto l'acteur... dans un rôle fort énigmatique.
La réalisation ne fait pas preuve d'une renversante originalité, mais demeure tout à fait réussie, bien que forcément en deçà de celle d'un
Audition à titre d'exemple. Miike ne lésine pas sur les cadrages serrés et la nervosité du découpage, ce qui est un bon point, mais il se désintéresse ici de la folie filmique et visuelle dont il se révèle capable au profit d'une ou deux courtes digressions esthétiques un peu douteuses et faisant justement penser à du sous-Tsukamoto. Les petits tambourinages rythmiques de la bande-son inspirent la sympathie, sans plus.
En ayant recours à quelques effets numériques de fortune mais néanmoins honorables,
Ichi the Killer se permet de jouer avec les frontières d'un Gore formellement décomplexé, surtout en l'espace de cette hallucinante scène où le corps d'un infâme proxénète se fait partager en deux par la lame d'Ichi. On s'en souviendra durablement.
Parfait archétype du film trash, pas le moins du monde chiche en brutalité physique extrême ainsi qu'en scènes Gore parmi les plus monstrueuses de l'histoire du cinéma, ce film décapant ne manque pas d'envergure pour se hisser au panier des plus gros délits commis par tonton Miike. Tavernier ! Encore !
8/10