par BRUNO MATEI » 04 Octobre 2011, 11:26
Après son (injustement) décrié Saint-Ange, film fantastique limpide tout en ambiance diffuse, Pascal Laugier revient quatre ans plus tard avec un film monstre, une expérience viscérale rarement vécue de l'intérieur de notre psyché sévèrement maltraité. Filmé à la manière d'un documentaire abrupt, Martyrs est un endurant témoignage sur les victimes moribondes de notre humanité corrompue.
Attention ! il est préférable d'avoir vu le film avant de lire ce qui va suivre !
Dès le prologue, âpre et haletant, nous sommes frappés par l'intensité émotionnelle qui en émane. Une jeune fille à moitié nue, lardée de cicatrices et de contusions sur la totalité du corps violenté, s'enfuit d'un hangar à pieds nus, l'air hagard et terrorisée ! Ce préambule profondément dérangeant dans son réalisme clinique, accentué par la verdeur d'une photographie désaturée, nous averti brutalement de l'austérité monolithique d'un metteur en scène plus que jamais irascible.
Dans la structure consciencieuse d'un scénario remarquablement conçu, Martyrs nous décrit sans concession et encore moins de fioriture le calvaire imposée à deux jeunes filles candides vouées à un destin martyr.
C'est d'abord Lucie qui nous est caractérisée après son échappatoire de l'enfer, dans le refuge blême d'un centre hospitalier. Durant ces longues années d'internement, elle va faire la rencontre d'Anna, une jeune fille empathique avec qui elle va entamer une vraie histoire d'amitié. Sans cesse harcelée par ses visions horrifiques se matérialisant par l'épouvantable apparence d'une femme défigurée et décharnée, Lucie reste profondément traumatisée par sa séquestration alors que les responsables n'auront jamais été retrouvés ni condamnés. Un jour, grâce à une photo d'article parue dans un journal, elle retrouve la trace de ses tortionnaires et décide de leur faire payer son impitoyable fardeau. Après que le massacre ait été commis, elle joint au téléphone sa fidèle amie pour l'avertir de son sanglant exutoire. Alors qu'Anna essaie de calmer Lucie, toujours persécutée par ses hallucinations morbides lui causant diverses scarifications qu'elle s'inflige sur son propre corps, elle se débarrasse péniblement des corps ensanglantés d'une famille au complet. Dans cette demeure bourgeoise d'apparence docile et vertueuse, on peut parfois entendre au sous-sol caverneux les agonies suppliciées de jeunes femmes prises en otage pour le compte d'une obscure confrérie. C'est cet évènement inopiné qui va permettre de façon surprenante de relancer l'intrigue dans une épreuve atypique de survie contre la mort au prix de la piété religieuse !
Dans notre paysage hexagonal, jamais un film d'horreur d'une envergure aussi viscérale n'aura autant éprouvé et martyrisé son spectateur. A travers le calvaire jusqu'au-boutiste de deux jeunes filles livrées à elles-mêmes, Pascal Laugier nous emmène au coeur de l'enfer terrestre, dans une abominable expérience incongrue avec les cimes de l'au-delà. D'une portée mystique universelle que certains auront trouvés absurde (ou ridicule), Martyrs est un poème d'amour noir sur la solitude et l'endurance meurtrie de deux amies condamnés à souffrir leur désespoir. En prenant le contre-pied du divertissement sardonique gentiment compromis entre le spectateur et le réalisateur (tel que la saga à n'en plus finir Saw, Hostel et consorts), le réalisateur nous livre sans anesthésie et sans une once de complaisance rébarbative des séquences hardcores de violence acerbe infligées sur la victime. D'un réalisme estomaquant parfois insupportable pour les plus sensibles d'entre nous, ces séquences se déroulant durant la seconde partie nous met dans une situation encore plus gênante qu'au préalable car elle nous impose presque en temps réel le calvaire imbitable entrepris avec une nouvelle victime substituée à Lucie. Si l'on ressort de l'expérience Martyrs si secoué et péniblement affecté par la décrépitude autant morale que corporelle de Lucie et Anna, c'est parce que Pascal Laugier prime avant tout sur la psychologie sensitive de ses personnages et de cette violence putanesque détenant ironiquement un alibi à tant de sévices infligés (accomplir le Mal pour une cause mystique comme ces conflits mondiaux belliqueux engendrés par l'opposition de nos croyances religieuses). De surcroît, il n'oublie jamais pour autant l'émotion attendrie qui émane de la relation intime entre ces deux héroïnes extrêmement chétives et cette iniquité universelle de la souffrance imposée aux autres pour une cause égocentrique.
Peine d'amour au nom du Martyr.
Fragilisé par le talent ténu de deux actrices dévouées corps et âmes, Martyrs est une forme de chef-d'oeuvre maudit où l'horreur préconçue dépasse sa fonction de divertissement orthodoxe pour en extraire un drame humain profondément bouleversant et inoubliable (autant pour la compassion émise pour nos deux héroïnes que de l'horreur graphique qui en culmine). Nos frêles sentiments mis à nus sont ici écorchés à vif pour mieux nous rappeler à l'ordre que la vie est une inépuisable défiance contre l'affliction commise par les plus audacieux d'entre nous. Où ces engeances mêmes décident d'immoler leur propre âme pour s'évader furtivement dans un nouveau monde hypothétique et imprécis...
La quête spirituelle de la paix éternelle nous serait alors à jamais établie sans réponse. En attendant de rejoindre Lucie et Anna...