par Sir Gore » 16 Juin 2006, 11:00
Park-Chan Wook a confié avoir spécialement écrit le rôle de Geum-Ja sur mesure pour Lee Young-Ae. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'effectivement, la présence et le jeu de l'actrice, ses yeux de cocker de plus en plus glauques à mesure que le récit progresse, s'imposent, tous en un, comme l'unique véritable raison de vivre d'un film résolument raté.
Raté parce que vain, longuet, brouillon, prétentieux, et désespérément vide. L'on ne serait pas dans nos torts de soupçonner que Park-Chan Wook a voulu rapidement boucler une trilogie sur la vengeance, d'abord pour une raison commerciale (les suites, les trilogies, les sagas, il sait très bien que ça cartonne), mais également dans le - simple - but d'étoffer sa vision de la femme, son ressentiment envers elle, cinématographiquement parlant, bien sûr. Car il faut se rappeler que les caractères féminins de la plupart de ses uvres antérieures ne demeuraient que vagues caricatures faibles et soumises, perdues dans les abîmes d'histoires (de vengeance ou non) purement viriles. Et si ce n'était pas tout à fait le cas, leurs rôles étaient toujours relégués au second plan, telle Lee Young-Ae dans JSA, par exemple. Mais en l'occurrence, se contenter de ces deux éléments en négligeant le reste ne suffit hélas pas à élaborer quelque chose de vraiment intéressant.
Pourtant, les premières minutes laissaient augurer un film aussi fort qu'Oldboy: un générique de toute beauté, suivi d'une scène d'introduction mettant en scène un prêtre désopilant et des papas noël chantants, accueillant Geum-Ja à sa sortie de prison. Sa réaction: faire basculer à terre le plat de tofu qu'on lui tendait, suivi d'un magnifique Allez tous vous faire voir. Peut-être que si Park-Chan Wook s'était arrêté à ce moment précis, il en aurait résulté un formidable court-métrage d'une ou deux minutes, qui sait. Mais non, Park-Chan Wook préférera poursuivre durant près de deux heures, en faisant les quatre-cents pas dans un gros cratère évidemment creux. Et le spectateur de se tourner les pouces en attendant et espérant tout ce qui ne viendra pas.
La mécanique de Lady Vengeance est ainsi lancée. L'intrigue, décousue comme pas possible, déploie quantité de flash-backs illustrant les moments forts de l'incarcération de Geum-Ja. Rien de nouveau, rien de palpitant. On nous ressert la même sauce, mais cela ne prend plus, ou plutôt, la sauce en question est devenue rance. Mais le mieux s'avère encore de se rendre directement à l'évidence: Lady Vengeance s'apparente à un gros tissu de je-m'en-foutisme narratif, truffé de longueurs insupportables, souvent ennuyeux jusqu'à tomber dans les bras de Morphée. Et ne nous attardons pas sur ce score de musique classique au rabais, utilisé à tous les prétextes, si bien qu'on se croirait dans une mauvaise biographie de Mozart. Autant son emploi parcimonieux faisait totalement mouche dans Oldboy, autant il se voit ici étalé et réétalé de façon on ne peut plus pompière et complaisante. Ça va, Park, on n'est pas dans le salon de Valmont.
Finalement, c'est dans les moments plus légers que le cinéaste se retrouve un peu: les plans avec l'adorable petit chat noir de la fille de Geum-Ja adoptée par un vieux couple de beaufs australiens, très jolis, ainsi que les scènes avec l'ignoble détenue obèse, à mourir de rire (mais malheureusement bien trop courtes pour faire de Lady Vengeance un film un tant soit peu humoristique). Pour parler de la réalisation sur un plan purement technique, le tout oscille entre prises de vues fixes et travellings rapprochés tous deux typiques dans le paysage de Park, et, parfois, caméra vacillante pour se la jouer pseudo-documentaire à la noix. Toutefois, on ne peut nier le grand soin esthétique conféré à la photographie, aux couleurs jouant entre le froid et le pastel. Mais manquerait plus que ça.
La dernière demi-heure met décidément fin à nos attentes: un monument de n'importe quoi, d'incrédibilité, de lourdeurs en tous genres. C'est le nouveau formalisme du chic-intello, dans lequel a sombré l'auteur de Sympathy for Mr Vengeance: tartiner une sorte de confiture non-sensesque en insérant des longueurs à la tonne et des dialogues qui ne veulent rien dire, tout ça pour que ça fasse très subtil et compliqué, alors que c'est juste grotesque et prétenchouille. Et ça dure des plombes.
La voix-off omniprésente, et ses interminables monologues à trois wons qui se voudraient métaphysiques, philosophiques ou on ne sait quoi d'autre, achève de rendre l'impression procurée par Lady Vengeance après vision: un grand coup d'épée dans l'eau, rien de plus.
En conclusion, nous ne sommes non plus pas en face d'un fiasco total; il y a de bonnes choses, de bonnes idées dans Lady Vengeance, et la branche artistique de luvre, sans faire preuve de révolution visuelle, demeure incontestablement réussie dans sa globalité. Et il y a Choi Oh-Dae-Soo Min-Sik, formidable dans ce rôle de porc, mais qu'on ne voit pas assez. Le problème réside dans le fait que ces bons moments sont bien trop rares, car noyés dans un océan de mollesse aberrante, de surréalisme languissant, de vacuité émotionnelle, de vacuité tout court, même, qui nous laissent dans une dure langueur. C'est froid, c'est vide, c'est soporifique, ça ne sert à rien. Maintenant, un bon café pour se réveiller.
3.5/10