STRANGE DAYS
Réalisatrice: Kathryn Bigelow.
Année: 1995.
Origine: U.S.A.
Durée: 2h25.
Distribution: Ralph Fiennes, Angela Bassett, Juliette Lewis, Tom Sizemore, Michael Wincott, Vincent d'Onofrio, Glenn Plummer, Brigitte Bako, Richard Edson, William Fichtner.
Sortie salles France le 7 Février 1996. U.S: 13 Octobre 1995.
FILMOGRAPHIE: Kathryn Bigelow est une réalisatrice et scénariste américaine, née le 27 Novembre 1951 à San Carlos, Californie (Etats-Unis).
1982: The Loveless (co-réalisé avec Monty Montgomery)
1987: Aux Frontières de l'Aube.
1990: Blue Steel.
1991: Point Break
1995: Strange Days
2000: Le Poids de l'eau
2002: K19
2009: Démineurs
2012: Kill Bin Laden
Après les excellents Blue Steel et Point Break, notre illustre réalisatrice virile retourne au cinéma d'action avec Strange Days, techno thriller visionnaire à l'ambiance survoltée. Malgré son flop en salles et sa durée inhabituelle, ce divertissement calibré s'interroge sur les nouvelles addictions de demain, via l'entremise d'une nouvelle technologie virtuelle et le pouvoir de l'image qui en émane. Kathryn Bigelow nous illustre également la vision désenchantée d'une société despotiste en phase de déclin auquel les forces de l'ordre profitent de leur autorité pour déprécier une population au bord du marasme.
Le 30 Décembre 1999, à Los Angeles. Lenny Nero est un ancien flic reconverti dans la revente illégale d'un produit technologique révolutionnaire, le SQUID. Avec l'entremise d'un casque posé sur le crane, ce procédé virtuel consiste à faire visionner au client un clip vidéo sensoriel et de lui faire vivre en temps réel des expériences d'adrénaline. Mais la veille du nouvel an, Lenny va découvrir à travers une nouvelle disquette le meurtre en direct commis envers une de ses proches amies.
Dans une ambiance crépusculaire en déliquescence, Kathryn Bigelow nous dévoile un Los Angeles d'apocalypse auquel les citoyens sont asservis par un régime totalitaire érigé sous l'administration sécuritaire de la police, mais aussi celle des forces armées déployées en masse dans la métropole.
Par l'intermédiaire de notre héros (excellemment campé par Ralph Fiennes), nous allons subir un florilège d'expériences virtuelles avec l'intervention d'une technologie futuriste au pouvoir sensoriel transcendant. Ce gadget ludique non dénué d'accoutumance pour le sujet fragile consiste à lui faire vivre en temps réel et de manière subjective une situation sulfureuse lui permettant de se retrouver à la place d'un héros perpétrant une action interdite ou un fantasme lubrique. Favorisé par une caméra subjective, la réalisatrice nous fait profiter de ces expériences hallucinées où le sujet transi est éprouvé par ces émotions cinglantes et diaphanes. Comme par exemple le fait de chuter dans le vide du haut d'un immeuble après avoir échapper aux forces de l'ordre à la suite d'un braquage. Ou celui de faire l'amour avec une partenaire lambda sans avoir à se reprocher une éventuelle culpabilité d'adultère. Ou encore l'idée incongrue pour un quidam masculin de se retrouver dans la peau d'une femme nue, entrain de se caresser langoureusement sous une douche !
Sur fond de bande-son rock endiablée (dont un tube interprété par la troublante Juliette Lewis), Kathryn Bigelow affilie à son concept virtuel une intrigue policière où le suspense est assez bien entretenu (à deux, trois facilités improbables et quelques personnages stéréotypés comme ses 2 agents de police ultra caricaturaux). Mais l'intérêt de cette vision désincarnée d'un monde en ébullition s'exacerbe un peu plus sous l'autorité fébrile de nos deux héros principaux. L'épatant Ralph Fiennes compose de manière fiévreuse un personnage fragile de marginal dépité par une société en chute libre. Il mène son enquête avec une fougue teintée de désespoir, sachant que son ex amie est à deux doigts de trépasser sous l'intimidation d'un tueur odieusement pervers. Angela Basset volerait presque la vedette à son acolyte tant elle se révèle surprenante de pugnacité dans son éthique virile. Une combattante robuste délibérée à faire éclater au grand jour un complot politique de grande envergure fustigeant la haine raciale. Quand à Juliette Lewis, elle endosse avec un naturel dévergondé le rôle d'une jeune chanteuse paumée, scindée entre l'empathie de son ancien amant mais tributaire des avances perfides de son producteur enjôleur.
Emaillé de tubes rocks véhéments, d'une mise en scène ambitieuse à la hauteur des moyens déployés (l'embrasement final établi sous les feux de projecteurs du centre urbain de Los Angeles auquel une participation exceptionnelle de figurants sont déployés par milliers !) et superbement interprété par des comédiens au tempérament avisé, Strange Days est un fabuleux spectacle confronté à l'enlisement de notre avenir pessimiste. Reflet d'une époque en perte de repères auquel le citoyen semble lassé de ces loisirs et de la routine de l'existence, la réalisatrice imagine un procédé virtuel révolutionnaire pour satisfaire ce public toujours plus avide d'expérience nouvelle. Et de nous mettre en garde sur certaines transactions mercantiles octroyées par des commerçants sans vergogne, aptes à commercialiser au client lambda des vidéos crapuleuses pratiquant le meurtre du direct ou le viol misogyne. En résulte un réquisitoire alarmiste sur le danger des technologies de demain et sur notre rapport intime, viscéral au pouvoir de l'image.
En faisant référence au passage à tabac d'un afro américain (Rodney King) perpétré par des agents de police et des émeutes qui s'ensuivirent après le procès des inculpés en 1991, la réalisatrice énonce autant les débordements racistes d'une police expéditive davantage compromise par un état totalitaire. Flamboyant, frénétique et visuellement impressionnant !