Après le terrible échec commercial des Aventures de Jack Burton, John Carpenter renoue avec les budgets réduits de série B circonspect pour entamer un second volet à sa trilogie de l'Apocalypse (initiée par The Thing et finalisé par l'Antre de la Folie). Prince des Ténèbres renouvelle sa thématique du Mal tributaire de démonologie à travers le sacre d'un ostensoir renfermant un fluide verdâtre maléfique.
Dans une église désaffectée et à la demande d'un prêtre affolé, un groupe de scientifiques sont enrôler avec un professeur de philosophie pour déchiffrer et étudier un cylindre contenant un étrange liquide blafard. Ce canister tenu secrêt, car enfermé dans une crypte depuis des millénaires par les membres d'une secte religieuse (les frères du sommeil) se révèle la plus insoluble des révélations ! L'arrivée du fils de Satan sur Terre !
Lourdement éprouvé et dépité par son précédant métrage sévèrement délaissé par le grand public, John Carpenter ne prend pas de risque pour mettre en scène la venue de l'antéchrist dans le huis-clos restreint d'une église gothique abandonnée. Avec son budget réduit et ses acteurs mesurés, notre briscard de l'horreur contemporaine nous concocte avec un minimum de moyens mais beaucoup de perspicacité un concentré d'horreur sataniste contournant habilement tous les clichés inhérents au thème souscrit.
Dès le générique d'ouverture étalé sur plus de 10 minutes, nous sommes frappés par la maitrise d'une réalisation assidue où chacun des décors et protagonistes nous sont présentés en un temps furtif. Tandis qu'une musique cérémonielle érigée par Carpenter et Howarth va venir émailler son climat d'angoisse latente pour envoûter ce cauchemar mystique dénaturant les fondements religieux.
A travers l'objet cylindrique d'une puissance démoniaque prête à extérioriser ses funestes ambitions, Prince des Ténèbres nous livre dans un méthodique laps de temps parfaitement structuré une course contre la mort auquel un groupe de scientifiques va tenter de repousser l'ascension du Mal absolu !
Ce qui frappe indéniablement avec ce suspense cauchemardesque impeccablement géré, c'est son sens inné de l'efficacité requise à son niveau le plus roublard. Chaque situation alerte et péripéties déployées avec malice nous scotche au fauteuil par sa facilité naturelle à renouveler l'horreur sataniste et se réapproprier des codes du genre pour rationaliser la venue du fils du diable.
Sans avoir recours à des procédés techniques spectaculaires ou racoleurs, John Carpenter rivalise d'idées inventives pour créer la peur tangible et captiver de manière peu commune par l'entremise
d'images horrifiques marquantes et inédites. Comme l'objet novateur de cet ostensoir enfoui au fond d'une crypte et renfermant un fameux liquide d'une nuance verte fluo. Alors qu'à l'extérieur du monastère, quelques badauds désoeuvrés vont venir assiéger la demeure en se comportant comme des zombies hagards immobiles. Au même moment, en interne de l'église, la panique va grandissante quand nos protagonistes vont être un à un contaminés par le fluide maléfique aspergé sur leur visage et se comporter comme des possédés transis pour, à leur tour, décimer leur acolyte en projetant à la figure un fluide minéral dans leur cavité buccale. Mais les moments les plus fascinants et prégnants du film resteront ces fameux jeux de miroir auquel Satan en personne n'attend qu'une main secourable pour pouvoir s'en extraire et régir son pouvoir sur terre (vision iréelle diaphane et opaque saisissante d'effroi !). Tandis que de façon récurrente, un message télékinésique va être transmis aux protagonistes durant leur songe pour les avertir d'une prescience afin de modifier leur temporalité actuelle. De façon implacable et métronomique, le spectateur est préalablement témoin des phénomènes surnaturels meurtriers encourus contre des protagonistes qui ont toujours une longueur de retard. C'est cette trépidante vigueur octroyée à un enchainement de vicissitudes délétères, le caractère haletant d'une menace létale apocalyptique qui rend si excitant et angoissant l'avènement redouté de l'antéchrist.
Parfaitement tempéré par des personnages attachants pleinement convaincus que le Mal est sur le point d'anihiler le monde (Donald Pleasance est le portrait type du prêtre contrarié redoutant la pire des prémonitions), Prince des ténèbres inquiète instinctivement, captive, apeure et passionne dans un récit mystique contredisant au passage les doctrines du mouvement religieux. Réflexion métaphysique sur l'abstraction du Mal insaisissable et l'altération de notre propre réalité auquel un groupe de scientifiques en proie au marasme essaient de combattre leur pire frayeur, ce modèle d'efficacité épurée trouve son équilibre et sa force dans sa manière inédite, sans fioriture de matérialiser le diable en personne. Jusqu'à la révélation du fameux point d'orgue pessimiste mais équivoque, voir incertain.