Les vrais classiques ne dépérissent jamais. Telle est la devise que l'on pourrait formuler en évoquant
Nosferatu, chef-d'uvre terminal de l'épouvante expressionniste allemande et fleuron du cinéma muet tous genres confondus au même titre que
Le Cabinet du Docteur Caligari. En effet, malgré le nombre des années, ce film suscite encore et toujours la passion, nous gratifiant de soixante minutes profondément envoûtantes et symbolisant en quelque sorte ce que le septième art a pu faire de plus remarquable en ces temps-là.
Au-delà de sa réussite plastique et atmosphérique éblouissante,
Nosferatu demeure, semble-t-il, l'adaptation cinématographique la plus fidèle au roman de Bram Stocker
Dracula; le scénariste Henrik Galeen se contenta surtout de modifier les noms des personnages principaux de l'histoire afin déviter le paiement des droits dauteur en la faveur de Florence Stocker, veuve de l'écrivain; il conserva en revanche l'esprit du livre de manière consciencieuse à défaut de suivre le récit à la lettre, car moult détails passèrent à la trappe et le canevas de l'histoire subit des changements considérables. Mais peu importe tout cela, tant l'intérêt de
Nosferatu - tiré de la légende du Nosferat, enfant mort-né, fruit d'une union illégitime, qui semble partager un lien avec le mythe du pieu enfoncé dans le cur - se porte sur l'ambiance hypnotisante qu'il distille et l'esthétique novatrice dont il fait montre. Murnau instaure des jeux d'ombre et de lumière qui délimitent le sommet de l'expressionnisme germanique (l'on retiendra plus particulièrement à ce titre les plans de l'ombre du vampire Dracula, effet ayant aujourd'hui perdu en aura horrifique ce qu'il a gagné en beauté visuelle) et la musique de Hans Erdmann ne fait que renforcer l'impact de cette « imagerie cinématographique baroque » trouvant néanmoins toujours une justification dans le script. Il n'y a effectivement nulle trace d'esbroufe gratuite dans
Nosferatu et il est bon de préciser que le métrage illustre un environnement géographique des plus vraisemblable (les décors isolés et montagneux de la Transylvanie, les rues hostiles de Brême), créant un habile contraste avec le climat fantastique, voire onirique, de l'ensemble. Max Schreck incarne le comte Dracula à la perfection et prête comme par magie sa silhouette longiligne, son teint livide et son nez aquilin au physique du vampire. Rarement l'allure et les traits d'un acteur n'auront aussi bien correspondu au personnage qu'il interprète.
uvre poétique, envoûtante et esthétiquement révolutionnaire,
Nosferatu ne déroge en rien à sa réputation de film figurant parmi les plus grands - si ce n'est le plus grand pour beaucoup - classiques du cinéma muet d'épouvante. Murnau ne s'arrêtera d'ailleurs guère à cet unique coup d'éclat, puisque certaines de ses réalisations ultérieures,
Faust et
L'Aurore notamment, bénéficieront d'une renommée quasiment égale à celle de ce formidable
Nosferatu.
9/10
