
Le Monde, la chair et le diable
1959
Science fiction
Etats-Unis
Réalisateur : Ranald MacDougall
Avec : Harry Belafonte, Inger Stevens et Mel Ferrer
Adapté du roman « le nuage pourpre » de Matthew Pipps Shiel, Le Monde, la chair et le diable nous raconte lextinction de lhumanité :
Après un éboulement au fond dune mine en Pennsylvanie, Ralph Burton attend des secours qui narrivent pas et finit par se libérer seul des décombres. De retour à la surface une horrible surprise lattend : Toute la planète semble avoir été décimée par une guerre nucléaire Dabord désemparé, il gagne New York et commence à sorganiser. Il récupère ce dont il a besoin pour continuer à vivre et erre au pied des gratte-ciel abandonnés Est-il vraiment le seul survivant de lhumanité ?
Fin des années 50 : les Etats Unis vivent dans la peur de la guerre froide et des risques quun conflit armé néclate, ils sont en même temps fascinés et horrifiés par la bombe atomique quils ont eux mêmes créé en 45. Le cinéma, et notamment le genre de la science fiction, reflète volontiers les aspirations et les craintes de son époque. Ainsi on voit fleurir quantité de films qui nous présentent soit dhorribles mutations soit lhumanité détruite par la guerre nucléaire et les survivants qui sorganisent (citons rapidement le choc des mondes de Rudolph Mate ou encore The day the world ended de Roger Corman qui a la particularité de mettre en scène à la fois lanéantissement de lhumanité ET une bestiole mutante).
Pourtant, sil sinscrit indubitablement dans son époque, Le Monde, la chair et le diable fait figure de cas à part. Dabord via le ton général du métrage, et ensuite par le traitement de thèmes à portée sociale. En effet, la fin des années 50 cest aussi une période où les luttes pour les droits civiques se heurtent au racisme institutionnalisé qui baigne la société Etats-unienne.
Ainsi dans le film de MacDougall, largument science fictionnel laisse vite place à un vibrant plaidoyer contre la haine raciale.
Pourtant il serait injuste dôter au film toute dimension ludique. En effet toute la première partie nous offre de saisissantes images de fin du monde apte à ravir tous les amateurs du genre. Ce sont surtout ces images dun New York totalement vide dhabitants qui frappent. Les rues sont silencieuses, désertes et jonchées de papiers. La nuit toute la ville est plongée dans dinhabituelles ténèbres. Personne napparaît jamais au fenêtres. La mort de lhumanité trouve dans ces images un cachet très réaliste. La ville compte 8 millions dhabitants en 1959 pourtant elle apparaît complètement vide à lécran. Aucun défaut napparaît dans la mise en scène et dans les décors et aucun trucage na été utilisé. Cette prouesse est due à une astuce assez habile : le réalisateur et léquipe du film ont obtenu lautorisation de tourner les scènes dextérieur entre 4 heures et 6 heures du matin : la production a bénéficié du concours des magasins qui ont éteint leurs enseignes et de la municipalité qui a fait interdire la circulation. Enfin, l'usage de pellicule en noir et blanc, plus sensible à la lumière, a permit de travailler en lumière naturelle et sans projecteurs. Ce stratagème a permit de rendre parfaitement crédibles les scènes où lon voit des sites célèbres comme Time Square, la Cinquième Avenue ou le quartier de Wall Street. Du jamais vu à lépoque.

Mais sil bénéficie de décors impressionnants, Le Monde, la chair et le diable reste un film qui sappuie avant tout sur ses personnages.
Le héros noir est interprété par le remarquable Harry Belafonte : acteur et militant dorigine jamaïcaine, il est également le détenteur des droits du film, ce qui lui permet de soffrir le premier grand rôle de sa carrière. On le verra par la suite dans Le coup de lescalier de Robert Wise, dont il est aussi le producteur. En dehors dHollywood, on le verra aussi aux cotés de Martin Luther King, John Kennedy. Et tout récemment encore, il sest opposé à la politique guerrière de George Bush.
Mais revenons au film. Si pour Ralph Burton la fin du monde est synonyme de catastrophe, elle signifie également la fin de toute discrimination raciale. Hélas cela ne sera plus aussi simple lorsque Ralph rencontrera une femme blanche. Bien que celle-ci se défende dêtre raciste, une distance ne tarde pas à sinstaller entre les personnages. Même alors que toute la société est irrémédiablement détruite, les conventions sociales subsistent entre les deux personnages. Ils se voient incapables de se défaire des règles qui régissaient toute leur vie auparavant. Cest là tout le sujet, et le combat, du film. Le Monde, la chair et le diable ne se bat pas tant contre les personnes qui saffirment ostensiblement comme racistes, mais contre une forme bien plus pernicieuse et dangereuse du racisme : Celui qui nous semble normal, qui agit au quotidien, sous couvert dexpressions devenues banales ou de normes sociales. Certaines scènes du film, choquantes et révélatrices, illustrent bien ce propos. Par exemple ce passage où la jeune femme furieuse affirme quelle est « libre, blanche et majeure » pour affirmer son indépendance. La phrase, dune terrifiante banalité à lépoque démontre bien que le statut « inférieur » réservé au noirs était perçu comme « allant de soi » par la population. Ou bien lorsque la même jeune femme demande à Ralph pourquoi elle ne pourrait pas venir sinstaller dans le même immeuble désert que lui, il répond « les gens pourraient jaser ».
Souvent cynique et sombre, le film donne à réfléchir.
Pourtant, malgré la noblesse de son scénario et sa réussite formelle, Le Monde, la chair et le diable nest pas exempt de défauts. En effet le film accuse son âge. Sil a sans doute choqué au milieu des productions timorées des années 50, le film a aujourdhui lair plutôt simpliste et souvent bien-pensant. Ainsi la fin du film, sans trop en révéler, souffre dun optimisme malvenu qui jure un peu avec le reste du métrage. Mais finalement ces défauts nentachent que peu ce film qui jouit dune narration admirable et qui développe avec talent une idée passionnante.
Bref, nous sommes ici en présence dun film tout à fait intéressant qui ne mérite pas son statut de rareté et que je recommande à tout le monde !