par BRUNO MATEI » 06 Avril 2011, 11:55
RAPPEL DES FAITS !
Après le succès de Baron Blood, le producteur Alfredo Leone demande à Mario Bava de réaliser un nouveau projet en lui laissant carte blanche sur le contenu scénaristique et sa facture visuelle. Le réalisateur s'empare alors d'un ancien script de son propre père décédé de manière à lui rendre hommage de façon personnelle et affectée.
Le problème est qu'à la première projection diffusée au marché de Cannes, Lisa et le diable n'enchante guère les distributeurs trouvant l'oeuvre beaucoup trop confuse, complexe et personnelle.
Alfredo Leone décide alors avec l'accord de Mario Bava de remonter le film en y incluant des séquences horrifiques d'exorcisme de manière à surfer sur le succès prodigieux de l'Exorciste de William Friedkin. Le maître italien étant un fervent catholique, il s'offusquera à mettre en scène lui même l'ajout de séquences de possession sataniste.
C'est La Maison de l'exorcisme qui sortira chez nous en 1975 et le succès commercial sera cette fois-ci au rendez-vous. Une réussite mercantile uniquement fructueuse pour le producteur puisque Bava ne sera pas crédité à la réalisation (ce qui portera atteinte à leur fidélité amicale pour toujours).
Cette copie grossièrement remaniée et dénuée de sens de Lisa et le diable fait office de pâle figure comparée à ce que je considère sans doute comme le plus beau film de Mario Bava.
Ce diamant noir maudit est d'autant plus injustement dénigré qu'il resta honteusement mis à l'écart pendant de longues années et inédit en salles dans notre pays hexagonal.
Lisa est une touriste profitant de ses vacances dans la ville de Tolède située en Espagne. Durant sa promenade, elle reste frappée par une peinture gravée sur un mur, représentant le diable. Quelques instants après, elle trouve refuge chez un antiquaire ressemblant au personnage de la fresque et tenant entre ses bras un mannequin que Lisa semble familièrement reconnaître. Elle continue sa route vers le chemin de la place principale et rencontre soudainement un individu physiquement semblable au mannequin. Prise de panique, elle le pousse sur la chaussée alors que l'homme trébuché semble mortellement blessé.
La nuit tombée, la jeune femme égarée demande à un couple circulant en voiture avec chauffeur de la reconduire mais ils tombent malencontreusement en panne et se retrouvent devant une vieille demeure gothique auquel l'antiquaire précédant semble être le maître d'hôte de la maison.
Oeuvre totalement atypique et hermétique au pouvoir de fascination incommensurable, Lisa et le Diable est une fuite de la mort égarée à travers les songes. La frontière entre la chimère et la réalité se juxtaposant ici afin d'égarer autant nos protagonistes pris dans la tourmente que le spectateur impliqué dans un engrenage où l'illusion semble totalement à la merci de notre réalité. Où la force suggestive d'une narration impénétrable nous pousse à tenter de saisir les moindres indices disposés à chaque variante du récit.
Dans des décors gothiques richement fournis, d'une beauté esthétique baroque à faire pâlir de jalousie Dario Argento, Mario Bava nous invite à un cauchemar romantique indéchiffrable dans sa structure fourmillant de détails aussi troublants qu'obscurs mais irrésistiblement attirants. Il faut dire que l'histoire profondément romantique, exacerbée par une sublime partition élégiaque dAranjuez nous enivre chaque sens dans son amertume nostalgique confrontée à une mouvance nécrophile et au delà du charme insolite de Lisa (campée par la ravissante Elke Sommer, nimbée d'étrangeté sous-jacente).
Le spectateur envoûté et décontenancé semble, tout comme l'héroïne principale, perdu au beau milieu d'une nuit dans le refuge d'une vaste bâtisse au secret familial inscrit dans l'infidélité maritale. Où les fantômes névrosés semblent errer pour préoccuper les vivants en tentant de renouer avec un amour ancestral réprimandé !
Narrer avec force et détail l'histoire fantasmagorique de Lisa et le Diable est quasi inconcevable mais on peut toutefois suggérer qu'il s'agit en résumé d'une famille hantée par le spectre d'Eléna, jeune femme infidèle à la beauté ténébreuse, éprise d'amour pour deux amants alors que Lisa semble être sa propre réincarnation. Durant tout le récit, celle-ci se verra harceler par le spectre du mari de la défunte atteinte de cécité alors que son fils marié auparavant à Eléna va totalement se laisser envoûter par le charme trouble de la nouvelle Eléna ! Dès lors, les morts et les vivants n'auront de cesse de s'entrecroiser alors que le diable incarné par un serviteur mesquin d'apparence chauve (surprenant Telly Savallas !) semble se divertir à taquiner et manipuler à sa guise ses invités pour les transformer l'instant d'après en mannequin de cire !
Le final tout aussi cauchemardesque et démembré qui voit Lisa prise au piège à bord d'un avion serait alors le dernier trajet pour l'enfer d'une femme condamnée d'avoir avili et corrompu l'amour obsessionnel de deux hommes tributaires de leur idylle damnée. La diable, maître de cérémonie serait alors l'instigateur de cette machination pour mieux déprécier celle par qui le scandale est arrivé.
A moins que le récit torturé n'était qu'un rêve fantasque d'une jeune dame refoulée, impressionnée par la fresque médiévale d'une présence démoniaque accomplissant sur son psyché un cauchemar insensé explosant les frontières entre rêve et réalité !
FANTOME D'AMOUR.
Interprété par des comédiens semblant habités par une entité irrationnelle, Lisa et le diable est un somptueux poème funèbre d'un romantisme inassouvi. Un rêve illusoire jonché de mannequins et de statues enracinés dans leur époque vétuste alors qu'une jeune femme hantée par ses offenses semble revenir sur les lieux d'une tragédie sentimentale soumis à l'agencement du diable en personne.
Traversé d'images oniriques à la beauté macabre charnelle et érotique, ce chef-d'oeuvre immuable du grand maître transalpin n'a jamais été aussi inspiré et ambitieux que dans cette intrigue tortueuse, source à réflexions aussi passionnées qu'irrésolues.
Sitôt le générique écoulé, difficile alors de retrouver une parcelle de lucidité dans le retour à la réalité renouée avec notre quotidienneté orthodoxe.
Pour reprendre et modifier quelque peu une citation d'un critique transi: revoir Lisa et le diable et ne plus jamais en sortir !
