
Ce curieux thriller, produit par Joe D'Amato (pas de mauvais préjugés inutiles, voyons) fait office de toute dernière réalisation de la part du grand Lucio Fulci, avant que celui-ci ne s'apprête à entreprendre le tournage du Masque de Cire, auquel, nous le savons, il ne participera hélas jamais. Autant le préciser tout de suite, que ceux qui ne croient qu'en Fulci le boucher peuvent en l'occurrence passer leur route; ici, place au mystère, à la réflexion, sans pour autant faire fi de ce perpétuel goût pour un type d'obsession maladive qui caractérise son univers.
L'auteur de L'Au-Delà prend un malin plaisir à dépouiller de fond en comble le récit de son métrage, tout en nous pondant un film à mi-chemin entre Duel de Steven Spielberg pour les «affrontements» incessants de deux véhicules dans une unité de temps, formant un quasi huis-clos sur de l'asphalte au grand air, et Pique-nique à Hanging Rock de l'anglais Peter Weir dans le même canevas d'une atmosphère onirique à la fois constante et difficilement tangible.
L'excellent John Savage, un comédien dont la réputation n'est plus à prouver mais qui demeure rare aux grandes lumières, ne quitte pratiquement pas l'écran d'un plan-séquence, dans le rôle de cet homme à l'expression hagarde, à la poursuite d'un étrange corbillard à l'intérieur duquel le cercueil porte son propre nom. Partant de ce schéma, le scénario se révèle bien plus tortueux et étoffé qu'il n'y paraît, malgré le minimalisme achevé de l'intrigue (celle-ci se déroulant sous une musique jazzy de très bonne tenue). On se surprend à lier peu à peu un lien avec le personnage de Savage, pour finir à un point tel que l'on a l'impression de s'immerger à l'intérieur de lui-même, toujours en tant que spectateur pourtant. Là réside l'une des inextricables forces du film - forces inextricables, dont on reparlera tout de suite.
La réalisation étonne en bien, avec un montage habile, quelques travellings aériens de toute beauté (cf. le générique de début, où la caméra survole le pont d'une autoroute au crépuscule du soir), ainsi qu'un rendu photographique impeccable; Fulci aime à ciseler le cachet visuel de ses films, quand la maladie ne lui fait pas bâcler son travail (souvenons-nous à ce titre de la plupart de ces productions comprises entre 1985 et 1990, même si certaines d'entre elles demeurent vraiment sympathiques). Privilégiant tour à tour les angles de vues serrés puis panoramiques, la mise en scène culmine cependant lors d'un duo de scènes d'action filmées de manière très terre-à-terre, illustrant la course-poursuite entre John Savage et l'énigmatique corbillard au début puis lors du final du récit; un authentique modèle de mise en image, dont les tâcherons adeptes de l'épilepsie cinématographique devraient prendre exemple.
Mais venons-en au fait: Les Portes du Silence distille une sorte de malaise ininterrompu, sans qu'il s'y produise pour autant le moindre meurtre. Le climat est lourd, troublant et feutré, et le suspense ne manque pas de surgir brutalement à quelques reprises. Il joue à la fois sur les ellipses et les scènes d'exposition, mais en somme, il suscitera auprès de plus d'un un sentiment de rebut, car il ne mène au final nulle part; le film met en exergue, il symbolise même les interrogations funèbres de Fulci au détriment d'une véritable explication scénaristique concluante, et nous laisse de ce fait perplexe et sans repères, séduit ou non.
Quoi qu'il en soit, force est de reconnaître avec admiration cette forme de volonté si tenace de ne jamais sombrer dans la banalité, chose qui lui a collé à la peau jusqu'au bout.
Les Portes du Silence, bien au-delà d'un simple «dernier métrage», se révèle sans l'ombre d'un doute l'oeuvre la plus étrange - peut-être la plus réussie - du cinéaste italien, dont on n'a de loin pas fini de découvrir toutes les subtilités qui s'y cachent. Fascinant, vraiment fascinant.
10/10
