Gemini
Titre original: Sôseiji
Genre: Drame
Pays: Japon
Année: 1999
Réalisé par: Shinya Tsukamoto
Avec: Masahiro Motoki, Ryo, Yasutaka Tsutsui...
Shinya Tsukamoto est principalement connu pour ses fulgurances visuelles cyber punk, illustrée par un montage et une mise en scène extrêmement violents.
Tetsuo, son premier film, et les quatre autres qui le suivront, entrent tous dans cette description. Ces films sont construits comme une sorte de crise perpétuelle, une succession de scènes violentes à la fois par leur sujet et par leur mise en scène. Ce montage "clipesque" peut être reproché, bien quil colle particulièrement bien avec le sujet, à savoir une brutale aliénation de lhumain par la technique pour les deux
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Ce style de mise en scène était même devenue caractéristique de Tsukamoto. Pourtant avec son cinquième (et meilleur ?) film, il prouve quil peut tout à fait réaliser un film plus "calme", au rythme plus posé, sans pour autant perdre la force de ses thématiques.
Gemini se passe pendant lère Meiji. Il suit lhistoire du jeune Yukio Daitokuji, un riche médecin japonais qui doit veiller sur son épouse, devenue amnésique depuis un grand incendie. D'étranges événements se produisent dans la maison familiale que l'on croit hantée. Les parents de Yukio, terrorisés par un monstre à forme humaine, meurent dans des circonstances indéterminées. Leur fils est peu après confronté à son jumeau malfaisant (abandonné à la naissance par ses riches parents à cause dune marque disgracieuse sur sa jambe) dont il ignorait lexistence, qui va usurper son identité et s'immiscer dans sa vie.
Le film est une adaptation très libre dun roman dEdogawa Ranpo (auteur de Best Seller au Japon, et grand admirateur de Poe) dont le roman original était semble-t-il plus démonstratif dans sa violence et plus tordu dans son intrigue. En effet
Gemini paraît très lisse en regard de ses autres uvres. Les images léchées sont dune beauté glacée. Le rythme contemplatif du début installe doucement une ambiance à la fois calme et mystérieuse. Et de temps à autre, des élans de fureurs viennent briser ce rythme : les apparitions hallucinées de Sutekichi, le double, grimé comme un démon de carnaval issu du folklore japonais. Là, la caméra se fait à nouveau agressive, et une musique aux percussions et aux rythmes métalliques vient renforcer la brutalité de ces scènes. Tout le film oscillera entre des périodes de calmes inquiétant et mystérieux et ces brefs élans de fureur visuelle qui caractérisent Tsukamoto. Mais il ne sagit en aucun cas de "frime visuelle" ou de manifestation clipesques vaines. Même les passages les plus violents, au niveau de la mise en scène, restent pertinents et maîtrisés. Ces passages résultent de la collision des deux mondes décrits dans le film : celui de la villa du médecin, à lambiance calme et feutrée, où tout est aseptisé et lisse, chaque saleté étant énergiquement lavée par les domestiques et chaque déviation du comportement étant sévèrement réprimée par les parents, soucieux de bien paraître. Et celui des "taudis" pour lequel Yukio voue une haine profonde et raciste, et duquel est issu Sutekichi. Ce deuxième univers et violent et sale. Mais Tsukamoto na que faire de la réalité sociale et le représente comme une sorte de théâtre grandiloquent et énergique, plus proche du kabuki japonais, avec ces personnages maquillés et vêtus de guenilles multicolores, que de la misère réelle.
Le film traite donc de la dialectique qui se créera entre ces deux mondes via les deux frères. Ainsi que lévolution de ces univers sur leurs personnages. Dans un premier temps Yukio, aveuglé par ses principes, croira faire le bien en marginalisant ce "monde des taudis" (confronté à un choix, il préfèrera soigner le maire plutôt quun enfant lépreux). Puis, suite à larrivée de Shakichi, les deux frères se confondrons aux yeux de Rin (lépouse de Yukio), et finalement Yukio/Sutekichi en sortira grandi et plus sage. Cet état de fait sera illustré par un sublime plan final comme Tsukamoto sait si bien le faire.
Enfin noublions pas de saluer la performance des acteurs, tous bluffant, la palme revenant à Masahiro Motoki qui incarne un Yukio troublant et un Sutekichi effrayant. Lutilisation pertinente de la musique et le superbe travail du directeur de la photo achèveront de faire de ce
Gemini un film en tous points brillant.