woh, le vieux topic!
hop:
The Exorcist
Etats Unis
1973
Genre: Epouvante
Réalisé par William Friedkin
Interprètes: Ellen Burstyn, Jason Miller, Max Von Sydow, Linda Blair...
Le père Merrin, un homme affaibli par le poids des années, dirige des fouilles archéologiques en Irak. Dans une cavité rocheuse, découvre une petite statuette grimaçante mésopotamienne, ainsi quun médaillon chrétien bien antérieur. Létrange découverte le trouble et prend les caractéristiques de présages funestes.
Au même instant, dans une banlieue de Washington, Regan, fille de lactrice Chris MacNeil, ressent les premiers symptômes de ce qui semble être une possession démoniaque.
Cette histoire, cest celle que lécrivain William Peter Blatty imagine en 1971. Pour cela il sest assez librement inspiré dun fait divers qui avait marqué sa mémoire. En 1949 un jeune garçon de 14 ans est exorcisé par un prêtre après quil eut constaté de troublants symptômes : le garçon hurlait des insanités en latin, des grognements provenaient de sa chambre et son lit sétait mis à trembler périodiquement
Aussi, après que le livre eut connu un certain succès sur le territoire des Etats Unis, la Warner décida den tirer une adaptation au cinéma. Plusieurs grands réalisateurs ont été un temps pressentis pour ladaptation. Mais cest finalement le jeune William Friedkin décroche le gros lot. Loscar quil a reçu en 1971 pour son film
French Connection faisant de lui une valeur sûre aux yeux des studios.
Friedkin sattaque donc au tournage de
lExorciste et le film finit par sortir dans les salles américaines le 26 décembre 1973. Il y provoque un émoi palpable, et lorsque le film traverse latlantique, il est précédé par une réputation duvre insoutenable devant laquelle les spectateurs sévanouissent et ont des malaises. Très rapidement le film est affublé de la très vendeuse (et très péremptoire) maxime :
Le film le plus terrifiant de tous les temps.
Mais cette expression en révèle bien plus sur laccueil qui fut réservé au film que sur le film en lui-même. En effet, si le film de Friedkin peut se targuer datteindre une telle efficacité cest bel et bien parce quil est infiniment plus quune simple succession de scènes spectaculaires (ce à quoi il est bien trop souvent réduit).
En premier lieu,
lExorciste bénéficie grandement du savoir-faire de ses deux auteurs. Dune part, William Peter Blatty signe une histoire qui allie des passages démonstratifs et violents avec tout un arrière plan fait de mystères, de mythologie et de croyances chrétiennes. Et dautre part, William Friedkin y déploie tout son talent en matière de mise en scène et de création dambiances. Et tout ceci est effectif dès les toutes premières images du film : ce splendide passage se déroulant en Irak. La découverte troublante de la statuette du démon Pazuzu par le père Merrin précède une foule dindices inquiétants (mais très cinégéniques) tels que cette pendule qui sarrête brutalement, ce regard inquisiteur lancé par un forgeron borgne, cette carriole qui manque décraser lhomme dEglise ou encore ces deux chiens qui se combattent sauvagement
A cet instant du film, le réalisateur est encore très peu démonstratif, on ne voit guère que le ciel qui se couvre, tandis quun brouhaha sonore nous indique la présence diffuse dun mal larvé. De manière insidieuse, Friedkin nous plonge ainsi immédiatement dans le genre fantastique. Il crée une atmosphère lourde de menaces qui semble avertir le spectateur de quelque atrocité à venir.
Immédiatement après, le quotidien tranquille de Regan et sa mère, fait de jeux et de promenades dans un Washington automnal, provoque un intéressant effet de contraste. Regan, avec ses nattes, ses joues rondes et son caractère enjoué est le symbole de la petite fille modèle. De même ses bonnes relations avec sa mère représentent les liens familiaux modèles. Pourtant, déjà quelque chose cloche. Labsence du père, qui ne téléphone même pas pour lanniversaire de sa fille, fait tâche. Supportant mal cette rupture, la mère de Regan a pourtant bien du mal à voir dans son ami réalisateur un remplaçant, tant il sombre dans lalcool. Cest dans cette situation que le démon fera irruption, prenant possession du corps de la jeune enfant. Les symptômes de la possession nous sont montrés progressivement et au compte goutte. Friedkin prend bien soin dinstaller progressivement une atmosphère de plus en plus angoissante, rythmée par les manifestations violentes du démon. Dabord par des insultes, des déplacements dobjets, puis par les plaies sur le corps de Reagan et ainsi de suite. Parallèlement nous est montrée linefficacité de la médecine face à quelque chose qui la dépasse. William Friedkin va même plus loin, en nous présentant la science comme quelque chose de froid, de distant de désincarné au milieu duquel lhomme est perdu. Pensons à ces traumatisantes scènes dhôpital, où radiographies et ponctions sont infligées à Regan comme autant de tortures médiévales. La jeune fille est comme écrasée par ces immenses machines bruyantes
lExorciste est un film où langoisse est savamment distillée. Tout un ensemble déléments est utilisé pour créer cette aura si particulière qui imprègne le film. Le recours à certains passages qui ne seront pas élucidés (la profanation de la vierge dans une église, la présence de la médaille de Saint Joseph dans les ruines assyriennes
) vont dans ce sens. La construction implacable du film est pensée de bout en bout par le réalisateur, et le sentiment de peur naît bien plus de cet agencement invisible et très bien fait que des scènes choc proprement dites. Point dorgue du métrage, la scène de lexorcisme proprement dit nest pourtant pas avare en effets spéciaux. Ceux-ci sont signés par Dick Smith, et ils demeurent impressionnants et parfaitement crédibles même après plus de trente ans ! Cest lors de ce final quont lieu la plus part des manifestations qui ont fait le succès du film (Regan défigurée, les lévitations, la tête tournant à 390°, les jets de vomis
) mais même lorsque tout ceci nous est montré, jamais le film ne tourne à la gaudriole gore. Au contraire, le climat tendu qui sinstalle a tendance à exacerber le choc produit par ces scènes. De même lexcellente gestion des effets sonores (linquiétante voix de Regan doublée par les hurlements affreux de sa mère désespérée) font des ces passages de beaux moments de tension !
Le soin porté aux personnages du film est également un des facteurs de sa réussite. Nous sommes ici très loin des bimbos et des jeunes écervelés propres aux
slashers. Au contraire tous les personnages nous apparaissent comme très humains. Le film insiste à chaque fois de manière très judicieuse sur leur vécu. Lexemple le plus parfait est évidemment celui du Père Karras, un prêtre ayant fait des études de psychologie, un amateur de boxe, mais surtout un homme miné par la mort récente de sa mère. Friedkin rend palpable le désarroi de cet homme au travers dimages fortes, comme cette fugace intrusion dans son quotidien morne et solitaire, ou encore cette traumatisante scène où on voit la mère de Karras placé dans un établissement hospitalier loqueteux.
lExorciste nous présente des personnages faibles, qui perdent leur repères face à linconnu : lexorciste Merrin voit ses forces sétioler au fur et à mesure quil pratique le rituel, le père Karras doute de sa foi et est rongé par la culpabilité, la mère de Regan subit limpuissance de la science, le placide inspecteur Kindermann se voit confier une enquête qui le dépasse
Plus quun banal film dhorreur,
lExorciste aborde des thèmes qui ont tous une véritable portée sociale et individuelle.
Et cest finalement cela qui explique les réactions si vives du public lors des projections du film. Il est à ce titre, très intéressant de revenir rapidement sur le contexte dans lequel sort le film. LAmérique des années 70 connaît une double crise. Une crise économique grave fait suite au premier choc pétrolier et plonge le pays dans un marasme dont il a bien du mal à sortir. Une crise politique ensuite, avec les premiers échos du scandale du Watergate ainsi que léchec de la guerre du Vietnam qui poussent les Etats Unis à redéfinir leurs valeurs. Et dans ce contexte de doute et de remise en question sort un film véritablement révolutionnaire produit par une grosse major (visant donc le grand public). On peut alors aisément comprendre le choc de la société très puritaine devant des scènes comme lépisode de la masturbation blasphématoire, ou encore celui de certains spectateurs lorsquils virent la sacro-sainte cellule familiale américaine à ce point maltraitée par Friedkin. Car cest bien de cela quil sagit,
lExorciste est une étrange parabole sur les comportements adolescents et tous les conflits que cela suppose. Cest également un film très religieux sur le doute et sur la foi, qui traite de lopposition science/religion de manière très crue.
Bref,
lExorciste restera à jamais une date dans lhistoire du cinéma. Et si actuellement le film neffraie plus autant les foules que lors de sa sortie, il demeure une uvre passionnante et intrigante grâce à cette atmosphère sombre et mystérieuse qui continue de se créer à chaque vision.