par SUSPIRIA » 18 Octobre 2010, 12:21
A travers le sujet récurrent des demeures hantées sous emprise d'une présence maléfique, Richard Loncraine aborde le thème du deuil et la difficulté de surmonter cette douloureuse épreuve psychologique, surtout s'agissant de la mort d'une innocente fillette de 8 ans.
Julia, son mari Magnus et leur fille déjeunent paisiblement dans leur cuisine un matin comme les autres. Ou presque, car l'enfant épanouie dans sa nature insouciante va subitement s'étouffer avec un morceau de pomme. La mère apeurée, prise d'un élan de panique décide de lui faire une trachéotomie avant l'arrivée latente des secours, en vain...
Deux mois plus tard, après un séjour dans un hôpital psychiatrique, Julia, profondément perturbée décide de quitter son mari ainsi que sa demeure familiale pour s'installer un peu plus loin dans un vaste pavillon londonien. Inexplicablement, elle sera en proie à ressentir de façon sensitive une étrange présence dans sa nouvelle maison. Et l'arrivée d'une troupe de médiums expérimentés ne fera qu'amplifier ce sentiment troublant d'insécurité et de fascination dérangée.
En effet, cette maison cache un horrible secret auquel des enfants indociles seront les uniques responsables.
Dès la scène d'introduction, éprouvante, intense et impitoyablement tragique, nous sommes les témoins indirects d'un drame familial accidentel auquel une petite fille trouvera la mort dans une iniquité déloyale. La séquence choc particulièrement impressionnante se joue du pouvoir de suggestion dans un habile montage de gros plans en exergue sur les visages effrayés. Et le résultat final d'assister à une trachéotomie infructueuse commise par Julia, en état de transe. Un plan fixe austère à mouvement de recul de faible ampleur où l'on apercevra la mère blottie devant sa porte d'entrée pour accueillir vainement les secouristes. Une frêle apparence contractée, déraisonnée, sortie des entrailles de la mort pour une maman précaire, vêtue d'un tablier taché de sang, saisie d'un couteau ensanglanté dans la main droite, le visage hagard, regard incertain noyé dans le désordre et l'absence.
Après ce douloureux fardeau, deux mois ont passé et Julia se retrouve volontairement seule dans une sombre demeure quelque peu poussiéreuse, aux lourds accents gothiques. Elle va furtivement subir un sentiment persistant d'inquiétude, d'étrangeté et de fascination envers ce climat dérangé qui trouvera son paroxysme dans une séance de spiritisme impromptue à l'ambiance insécurisante, au parfum diffus de malaise.
C'est à cet instant que la narration intrigante va prendre un tournant subversif dans une énigme pervertie par les actes démentiels d'enfants témoins, responsables d'un meurtre crapuleux et gratuit.
Julia, obsédée par ces révélations davantage pernicieuses et perverses (faux coupable, enfants complices et fillette énigmatique) va se laisser volontairement embarquer dans l'entreprise d'une enquête méticuleuse alimentée par l'espoir d'accéder à la vérité cathartique.
Des avis de recherche aux énigmes irrationnelles toujours plus effarantes vont profondément heurter la sensibilité plaintive de Julia qui va méthodiquement s'identifier à ce nouveau drame d'enfant sacrifié pour la rapprocher de son expérience vécue.
Toute le récit ne serait-il alors qu'une confusion de l'esprit troublé, lamenté de Julia qui s'imagine un scénario odieusement crapuleux pour se déculpabiliser de la mort accidentelle de sa propre fille (fantôme errant de sa conscience dépressive).
A moins de subir les tourments vindicatifs d'Olivia, personnification du Mal à l'état brut comme l'évoquera sa mère génitrice, réfugiée à perpétuité dans un hôpital psychiatrique.
Richard Loncraine réalise avec Le Cercle Infernal un diamant noir hypnotique induit dans une ambiance gothique aussi angoissée que fascinante, motivée par une rare force de suggestion évoquée.
La pellicule ouaté du film s'imprègne fatalement de ce pesant climat angoissant sans pouvoir nous lâcher une seconde de son emprise compromise, consolidée avec les forces du Mal. A moins d'être en adéquation avec une entité angélique subtilement démoniaque (chaque mort commis et dévoilé en intermittence sera toujours le fruit d'un accident inopiné).
C'est cette remarquable narration davantage absorbante, habitée par une intrigue diaboliquement agencée, se soumettant aux tourments pervers d'une enfance maléfique nous immergeant l'esprit désorienté, jusqu'à se perdre dans les dédales d'une conclusion désespérée.
Un final mélancolique d'anthologie qui laisse le spectateur sur les rotules avec ce magnifique travelling funèbre contemplatif, profondément bouleversant, quelque soit la compréhension du fin mot de l'énigme laissé en suspens selon notre version des faits rapportés.
Mia Farrow dans le rôle inoubliable de Julia est aussi pertinente et envoutée que dans le chef-d'oeuvre satanique de Roman Polanski: Rosemary's Baby. Une composition innée toute en sensibilité d'une mère accablée, fragilisée par la mort endeuillée de sa fille brutalement éteinte un matin sournoisement anodin.
Sa discrète présence effilée, son charme clairsemé, ses yeux bleux anxiogènes exprimés par la soif de vérité nous imprègne durablement l'esprit pour ce portrait de mère torturée, névrosée, en quête éternelle d'un amour maternel renoué.
Sublimée par la partition musicale de Colin Towns, aussi mélancolique que mélodieusement tendre et gracile, Le Cercle Infernal est l'un des chefs-d'oeuvre les plus représentatifs sur la thématique des demeures hantées soumise à l'affront du deuil insurmonté.
Le drame désespéré d'une mère brisée à jamais, à la recherche éperdue de sa propre fille mise en travers, juxtaposée à une autre victime vampirisée, dissoute à jamais dans les affres de l'au-dela.
Parfois angoissant (la séance de spiritisme), voir terrifiant (les révélations horrifiantes d'un témoin capital du meurtre infantile et surtout celles de la mère impotente d'Olivia condamnée à la folie mentale), obsédant et hypnotique (rehaussé d'un score musical puissamment prégnant) pour s'orienter vers un destin poignant et bouleversant (avec un final ambigu tragiquement funeste).
Le Cercle Infernal est un objet de séduction funèbre rare et précieux qui possède une force d'authenticité imparable dans sa requête convaincu d'un récit opaque nourri par une présence indicible.
Inoubliable autant qu'oublié par la majorité des égarés, beau à en pleurer, à revoir inlassablement une nuit ennivrée.
GRAND PRIX AU FESTIVAL D'AVORIAZ EN 1978.