par BRUNO MATEI » 07 Mars 2012, 16:59
Récompense: Prix du Public à Avoriaz en 1993.
Quatre ans après l'éblouissant Paper House, poème diaphane sur l'enfance galvaudée, Bernard Rose transpose à l'écran l'une des nouvelles de Clive Barker, The Forbidden tiré du roman Livres de sang. Sous couvert de légendes urbaines et de superstitions alimentées par la peur des déshérités, Candyman aborde le thème de l'exclusion et la xénophobie à travers le martyr d'un croque mitaine vindicatif, symbole victimisée de la communauté noire, car immolé par la haine raciale de l'homme.
Une étudiante et sa collègue rédigent une thèse sur les légendes urbaines. Elles décident de s'aventurer dans un quartier noir défavorisé de Chicago pour enquêter sur le célèbre mythe de Candyman. Au départ incrédule et athée, Hélène va malgré tout devenir la nouvelle cible du croque mitaine afin de la reconvertir en maîtresse des ténèbres.
Avec l'impact d'un scénario astucieux transcendant un conte social d'une épouvantable noirceur, Candyman progresse tranquillement dans sa première partie avec une investigation envisagée par deux étudiantes compromises au mythe des légendes urbaines. A première vue, on pourrait croire se retrouver à nouveau embarquer dans un énième avatar de slasher conventionnel inspiré par les cavalcades insolentes d'un Freddy Krueger préalablement adulé durant les années 80. Pourtant, avec cette première demi-heure suggérant au possible tout effet horrifique et la diabolique présence d'un éventuel personnage chimérique, l'oeuvre austère de Bernard Rose distille un suspense et un climat anxiogène habilement diffus.
Par l'entremise du personnage d'Hélène, étudiante érudite interpellée par les croyances populaires mais dubitative à toute notion de véracité, le réalisateur va exploiter son incrédulité pour la révéler au rang de nouvelle victime emblématique imposée par son bourreau. Il s'agit d'une vengeance implacable d'un homme de couleur préalablement massacré par une population raciste mais revenu de l'au-dela par l'entremise des miroirs, dès qu'une personne souhaite invoquer à 5 reprises son nom devant une glace. A chaque meurtre perpétré dans les bas-fonds d'un quartier insalubre gangrené par la précarité, Hélène sera malencontreusement aux yeux d'une police inflexible la coupable idéale sous l'influence délétère de Candyman. Par ses exactions sanguinaires commises avec une rare sauvagerie, notre spectre revenu des limbes de l'enfer va imposer à Hélène la responsabilité de ses odieux méfaits en lui administrant la preuve tangible de l'arme du crime apposée entre ses mains. Une manière sournoise de la contraindre à reconnaître devant la justice sa culpabilité mais aussi l'acculer à un odieux chantage infantile grâce à l'enlèvement d'un bambin préservé dans une cachette imprenable.
C'est cette empathie pour la victime de race blanche issue d'un quartier aisé, ce sentiment d'impuissance de pouvoir clamer son innocence face à sa propre justice, cette désillusion en chute libre de daigner convaincre l'improbable qui rend ce cauchemar implacablement éprouvant, intense et terrifiant.
Doté d'une maîtrise technique imperturbable pour exacerber un sentiment d'angoisse tangible face aux apparitions cinglantes ou aux exactions sanguinaires du Candyman, Bernard Rose insuffle un malaise persistant qui ne va pas lâcher d'une seconde son spectateur ébranlé par l'invalidité d'une héroïne vouée à la damnation. L'environnement inquiétant de ces décors d'HLM saturés de graffitis criards et l'incroyable score cérémonial de Philip Glass vont également amplifier ce climat morose et cafardeux. Quand à l'apparence béante et iconique de son spectre revanchard, affublé d'un long manteau de velours noir et armé d'un crochet substitué à la main droite, il nous glace instinctivement d'effroi. D'autant plus que sa voix caverneuse résonne à l'instar d'un écho évacué de l'enfer !
Enfin, l'épilogue sardonique se réapproprie malicieusement d'une nouvelle légende urbaine à travers l'emblème féministe d'une femme blanche sacrifiée pour la cause d'une ségrégation raciale.
Remarquablement interprété par la candide Virginia Madsen, poignante de sensibilité et désillusion et un Toni Todd effrayant de présence mortifère, Candyman est un authentique chef-d'oeuvre du fantastique à résonance sociale. Un des plus représentatifs cauchemars cérébraux de la décennie 90 d'une cruauté jusqu'au-boutiste sans appel. Un conte moral fustigeant la haine raciale, une allégorie sur l'avilissement de l'exclusion, où l'atmosphère urbaine suffocante nous imprègne de sa détresse humaine. A redécouvrir de toute urgence !
