ANGOISSE
Titre Original: Anguish / Angustia
Réalisateur: Bigas Lunas.
Année: 1987.
Origine: Espagne.
Durée: 1H25.
Distribution: Zelda Rubinstein, Michael Lerner, Talia Paul, Ángel Jovè, Clara Pastor, Isabel García Lorca, Nat Baker, Edward Ledden, Gustavo Gili, Antonio Regueiro...
Date(s) de Sortie(s) : France: 19 avril 1989 U.S.A: 08 janvier 1988
Récompenses: Prix très spécial, Prix de la critique, Prix du public, Prix du meilleur scénario au Festival du Rex à Paris en 1988.
Prix de la meilleure photo à Avoriaz 1988.
FILMOGRAPHIE: Juan José Bigas Luna est un réalisateur espagnol, né le 19 mars 1946 à Barcelone (Espagne).
1978 : Tatuaje , Bilbao, 1979 : Caniche, 1981 : Reborn, 1985 : Kiu i els seus amics (série TV),1986 : Lola,
1987 : Angoisse (Angustia), 1990 : Las Edades de Lulú, 1992 : Jambon, jambon (Jamón, jamón),1993 : Huevos de oro, 1994 : La Teta y la luna, 1995 : Lumière et Compagnie, 1996 : Bámbola, 1997 : La Femme de chambre du Titanic, 1999 : Volavérunt, 2001 : Son de mar, 2006 : Yo soy la Juani.
QUAND LA FICTION DEPASSE LA REALITE.
Passionnante réflexion sur le pouvoir influent de l'image, sur la manipulation du cinéma et sa compétence sensorielle à ménager les émotions, Angoisse est aussi une magistrale expérience fascinante sur la part de fiction et de réalité qui lient le spectateur ébranlé, compromis dans une conscience troublée.
Un médecin spécialiste des problèmes oculaires vit seul avec sa mère parmi ses volatiles familiers. Bientôt, John va devenir aveugle suite à un problème de diabète. Sa mère qui exerce sur lui une influence considérable profite de ses pouvoirs télépathiques et hypnotiques pour l'entacher à commettre des crimes pas esprit de vengeance en extirpant les yeux des victimes qui auront dédaigné son fils incompris !
Rares sont les films d'horreur qui nous mettent dans un état anxiogène trouble et sensoriel et rares sont ceux qui réussissent l'exploit de nous désincarner dans une espèce de trip expérimental passionnant et dérangeant sur notre rapport affectif à l'image, sur notre faculté intellectuelle à se fondre dans une fiction se jouant de la part de réalité.
Bigas Lunas, plus inspiré que jamais, débute sa trame avec le portrait inquiétant d'un schizophrène myope obsédé par les yeux, vivant reclus avec sa mère (formidable Zelda Rubinstein, magnétique et patibulaire). Une soixantenaire possessive physiquement chétive qui possède les dons particuliers de télépathie et d'hypnotisme.
Le metteur en scène créé ici avec une compétence épurée une ambiance chaude et insolite, exacerbée en toile de fond sonore par l'étrange bourdonnement sourd d'un bruit musical monocorde, particulièrement intrigant.
A travers quelques images baroques, poétiquement macabres (l'escargot rampant sur un corbeau noir) et cauchemardesques (les relations équivoques mère/fils sous effet d'hypnose et la série de meurtres qui s'ensuit), nous suivons la besogne de John à vouloir se venger de ceux qui l'auront humilié pour leur extirper les yeux des orbites et sauvagement les assassiner.
A cette idée destructrice et obsessionnelle d'annihiler la vue de tous les imposteurs de la ville, le double meurtre qui a lieu chez des bourgeois hautains et condescendants entrainent déjà chez le spectateur un malaise diffus du fait du réalisme cru des situations sauvagement exposées, de ces scènes gores déployées de manière assez explicite misant sur l'effroi de la cécité par les yeux arrachés au scalpel.
Après avoir subi cette morbide entrée en scène impliquant les mobiles de John et de sa mère perfide, Angoisse lève subitement le voile et nous dévoile la supercherie frauduleuse auquel nous venons d'assister !!!
ATTENTION SPOILER !!!!
Toute cette mise en scène n'était qu'un leurre, un film dans le film que des (faux) spectateurs contemplatifs étaient (tous comme nous !) entrain de vivre à l'intérieur d'une salle de cinéma !!!
Dès lors, deux histoires distinctes (la continuité du récit fictif de John qui a lieu devant l'écran de cinéma et les horribles nouveaux évènements que vont subir nos spectateurs/acteurs réunis dans la salle) vont s'allouer pour former une analogie afin de s'entrechoquer et fusionner ensemble. Car la présence inopinée d'un second maniaque dérangé s'est réellement introduite dans la salle pour reproduire à l'identique ce qu'il été venu voir inlassablement auparavant dans cette même salle. Un état d'esprit malade et torturé octroyé à l'identité de John pour un film qu'il aura vu et revu régulièrement afin de s'approprier définitivement de la vie du personnage créé par un metteur en scène agile.
FIN DU SPOILER.
Pour amplifier l'effet de malaise constant et l'angoisse tangible, Bigas Lunas va introduire à mi-parcours une séance d'hypnose commanditée par la mère de John. Une modification temporaire de la conscience soumise en torpeur pour lentement déteindre dans la salle et ainsi produire véritablement un phénomène de vertige chez certains spectateurs, en priorité vers une jeune fille terrorisée, accompagnée de sa fidèle amie inflexible. Mais également sur nous mêmes qui assistons au déroulement de deux récits presque communs, comme si nous étions nous aussi sous l'emprise immersive suggérée de la mère de John par l'entremise d'une pure fiction de mise en scène !
C'est surtout le fait de voir et d'assister au malaise continuel d'une des jeunes héroïnes du film, au bord du marasme, totalement frêle de crainte et démunie qui va irrémédiablement suinter, se répercuter sur notre psyché, pour peu que l'on soit sensible et émotif au procédé cinématographique mis en place avec habileté machiavélique par un réalisateur alchimiste.
ATTENTION SPOILER !!!
Mais le pire est encore à craindre, les rôles émotifs des deux demoiselles s'interposant subitement car celle qui était dubitative et indolente devant le réalisme d'une oeuvre de fiction sera effroyablement témoin malgré elle d'un double homicide commis par le tueur, réfugié dans les toilettes du cinéma. Alors que son amie profondément perturbée, au bord d'un malaise accru par le pouvoir de l'image frénétique va être à son tour prise en otage par ce psychopathe ayant barricadé toutes les portes de sécurité du cinéma. Personne ne peut donc sortir et tout le monde est à la merci d'une véritable menace de folie meurtrière, au dela de l'écran géant imposé !
FIN DU SPOILER !!!
C'est cette seconde partie terriblement déstabilisante et claustrophobe (nous sommes enfermés avec les spectateurs durant quasiment 1H00 dans un cinéma de quartier) qui va encore s'accaparer de nos sens émotionnels, témoins déconcertés de deux récits d'épouvante juxtaposés de façon désarçonnée. Un jeu de miroir pernicieux entre fiction et réalité. L'un fictif mais retranscrit de manière réaliste et l'autre beaucoup plus pragmatique, filmé en temps réel mais établi lui aussi de manière aussi fictionnel et trompeur, vécu de l'intérieur d'un cinéma, fantasme de rêve et cauchemar !
La mise en scène rigide va amplifier et imposer de manière crue, voire malsaine cette seconde situation extrême du fait de la psychologie troublée d'un tueur profondément affecté, s'identifiant au personnage de John continuant ses horribles méfaits dans le métrage projeté vers les spectateurs (acteurs du second film !).
D'où cette réflexion sur l'influence que le 7è art peut exercer chez certains esprits fragiles et jusqu'où peut altérer la part de vérité et de fiction auquel Bigas Lunas ne cesse de jouer et contrebalancer jusqu'à un final sardonique jubilatoire.
ATTENTION SPOILER !!!
Le machiavélique John s'adressant ironiquement à la jeune fille terrorisée, la menaçant directement de lui extirper les yeux ! L'héroïne en perte de repère car totalement désorientée du danger perçu de l'intérieur du film mais aussi vécu à l'extérieur, dans son décor d'une salle de projection, va se noyer dans une confusion du réel et du fictif, via l'influence et l'entremise fantasmée de la toile de l'écran
Le métrage boucle enfin admirablement sa thématique du faux semblant dans une ultime note ironique. Un générique de fin qui voit des spectateurs d'un autre cinéma, quitter la salle du second film fictif visionné (notre film donc, Angoisse !) avec notre aimable complicité et qui prouve donc que tout ceci n'était qu'une oeuvre ludique diablement maligne, cynique et manipulatrice d'un faiseur d'angoisse, déployée en 3 actes !
FIN DU SPOILER.
FAUX SEMBLANT.
Bénéficiant d'un scénario remarquable baignant dans une atmosphère âpre en déséquilibre, Angoisse est un film piège et trompeur, sommet d'épouvante sensoriel d'une diabolique intelligence et d'une force émotionnelle proche du marasme chez les cinéphiles les plus réceptifs et sensibles (selon l'acuité émotionnelle de chacun) au véhicule moteur du cinématographe illusoire.
Une pierre angulaire des années 80 à redécouvrir d'urgence, pour peu que certains se soient pâmer devant l'expérience Enter the Void de Gaspard Noe. Bigas Luna réussissant ici avec trois fois rien et moins de virtuosité technique à nous entrainer dans un labyrinthe de l'angoisse prégnant ne ressemblant à aucun autre film, à la sensitivité atypique et rude.
Véritablement culte, dérangeant et terrifiant.