par BRUNO MATEI » 28 Mai 2011, 13:32
Après sa trilogie de la mort rendue notoire par l'inoubliable poème nécrophile torturé, Aftermath, Nacho Cerda était attendu au tournant pour l'entreprise de son premier long-métrage titré Abandonnée et tourné en Bulgarie.
Hommage affecté ou variation à peine diaphane de l'Au-dela de Lucio Fulci, cette fuite en avant dans les abysses des ténèbres laisse le spectateur ombrageux en état second, entre malaise contraignant et fascination morbide pour un voyage temporel jusqu'au bout de la mort.
Marie est une quarantenaire au passé trouble car adoptée depuis sa naissance par une famille d'accueil. Vivant seule avec sa fille, elle n'a jamais eu l'opportunité de connaître la véritable identité de ses parents. Un jour, elle apprend la découverte du cadavre de sa mère avant de pouvoir bénéficier de l'héritage de la ferme familiale. Avec la compagnie d'un étrange guide, elle se rend donc instinctivement sur les lieux, dans son pays natal de Russie. Sur place, elle rencontre un autre individu énigmatique, Nikolaï, réunit dans la demeure pour les mêmes raisons personnelles que Marie.
Avec son prélude suspicieux se déroulant en 1966 dans une région forestière isolée de Russie, alors qu'une femme moribonde livre à des paysans lambdas deux bébés frivolement dénudés, l'ambiance mortifère d'Abandonnée s'inscrit déjà dans une lourde tonalité rugueuse après que la mère anémique ait esquissé son dernier souffle de vie.
Le frère et la soeur de celle-ci vont donc tenter de renouer avec leur trouble passé en revenant sur les lieux d'un horrible drame familial survenu il y a plus de 40 ans tandis que leur doppelganger va tenter de les appréhender.
Magnifié par une photographie blafarde aux teintes verdâtres et pastels, c'est dans l'environnement forestier d'une contrée isolée que Nacho Cerda filme sa nature fluide et inquiétante comme l'antre d'un univers baroque étrangement dérangeant. Comme les deux héros de l'Au-dela de Fulci et cette temporalité destructurée à mi chemin entre le rêve et la réalité, Marie et Nikolaï avancent tels des témoins hagards, le pas hésitant et fléchissant dans une glauque demeure hantée par leur propre double désincarné.
Conscients de découvrir leur prochaine destinée vouée à la fuite de l'existence, notre duo fébrile au bord du marasme va tenter de comprendre ce qui est réellement survenu à leurs parents, à cette mère sévèrement humiliée, fustigée, asservie par un mari violent draconien, adepte des forces obscures (ne brisons pas le cercle, répétera t-il incessamment !).
Une ambiance tangible de morosité ambiante et d'angoisse étouffante s'empare alors de nos deux héros davantage surmenés et inquiets à connaître leur triste fatalité. Chaque pièce démembrée de la demeure renferme une aura malsaine envahie par la décrépitude des sols boisés enduit de moisissure, les murs chétifs suintant l'humidité insalubre et ces filets de toiles d'araignées enveloppant plusieurs meubles vétustes par une odeur fétide sous jacente. De surcroît, l'accès au sous-sol envahi par les eaux laisse sous entendre l'écho de voix inquiétantes, des râles d'agonie venus d'outre-tombe auquel des silhouettes obscures de cadavre en vie invoquent machinalement l'arrivée hésitante du couple infortuné.
Quand Marie et Nikolaï tentent de s'enfuir de la maison assujettie par l'emprise des morts, l'indolence de la forêt clairsemée semble influencée par une aura délétère dans cette obscurité opaque comme s'ils souhaitaient empêcher implicitement nos héros de s'évader par l'affranchissement d'un pont condamné.
Ce voyage atypique en compagnie de la cécité mortuaire, partagé entre visions macabres acariâtres et réalité suspicieuse s'imprime insinueusement sous les pores hérissés de notre épiderme et culmine son apothéose dans un déchaînement d'évènements terrifiants où des porcs carnassiers dévorent outrageusement un cadavre déchiqueté et ou des bébés vivants sont noyés dans une eau rubigineuse.
Que peut-on espérer encore pour tenter de s'extraire d'un cauchemar hermétique ou rêve et réalité se confondent pour mieux nous engloutir dans les cimes d'un ailleurs sans logique ?
AU-DELA DE LA MORT.
Imprégné d'une ambiance exsangue et de son étrangeté prégnante insolubles à déchiffrer, Abandonnée s'adonne avec volupté dans un cauchemar éveillé aussi désarçonnant qu'irrémédiablement attirant. Endossé par la prestance affirmée de comédiens transis d'inquiétude et de peur diffuse, cette oeuvre majeure ibérique enfonce toujours un peu plus le clou et clôture son point de chute dans un foudroyant nihilisme d'une noirceur abrupte implacable.
A moins d'y avoir aussi décelé une forme de délivrance rédemptrice pour la postérité d'une nouvelle fille orpheline, volontairement abandonnée à son existence autonome.
